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Potarement - Chapitre 03

L'Exil

Après dix jours de traversée nous arrivons à Halifax en Nouvelle-Écosse Canadienne où je suis débarqué avec Shawo. Le reste du voyage se fera par la route jusqu'à Montréal. Notre première étape sera juste après la frontière québécoise dans la ville de "Rivière-du-Loup", une bourgade dans laquelle nous passerons deux jours. Nous sommes hébergés rue Courcelette, près du Parc des Chutes dans le secteur du Platin, chez Gillou. C'est un bon gars à l'accent québécois très prononcé. Plusieurs fois je lui demande de répéter certaines phrases pour que je puisse les comprendre mais comme je suis le "Petit Français" il ne s'en offusque pas. Et oui, la France et les Français sont appréciés au Québec, les cousins de là-bas comme ils disent. Ces deux jours sont extraordinaires. Entre tout, je n'ai pas encore le temps de réaliser tellement la situation et les événements s'enchaînent vite et je dois de plus assimiler beaucoup de choses.

Nous repartons vers Montréal. Nous arrivons dans l'arrondissement de Saint-Laurent au centre de l'île de Montréal dans ce qui va devenir ma nouvelle demeure. Elle est située rue Etingin, chez Kate, et tout près du parc du Bois-de-Liesse, dans lequel j'allais passer beaucoup de temps à arpenter les sentiers pédestres et les pistes de ski de fond l'hiver.

Une fois posé, reprenant un peu mes esprits, vient alors le temps de la réflexion et la question qui hante mes nuits et m'envahit : POURQUOI ?

Pourquoi je suis là ? Pourquoi moi........................... Je me poserai longtemps cette question et encore aujourd'hui il m'arrive d'y repenser.

Tout a commencé par mon abandon de mes parents à mes grands-parents pour une vague question de convenance sociale, ce qui ne peut excuser leur geste. Ensuite j'ai vécu avec des grands-parents un peu perdus qui étaient d'une autre époque, d'un autre âge. Ils ont tout fait pour m'appendre les règles de base de la vie, mais j'étais en décalage par rapport aux copains de l'école qui eux avaient leurs parents jeunes et d'une époque actuelle. J'avais l'âge d'un enfant mais vivant la vie d'une autre époque, et d'une manière différente; pas de télé, une simple radio, un autre Monde tout simplement.

Pourquoi la machine éducative de mon pays a, dès mon premier faux pas, préféré m'enfermer au lieu de chercher à me comprendre ? Ce système dit de protection de l'enfant est plus là pour rassurer les biens pensants et rassurer la populace. Dès qu'un jeune est différent il est à écarter de la société et donc à enfermer. Tout cela pour que le bon citoyen moyen ne puisse être dérangé par cette différence qui pourrait venir le troubler dans son carcan de préjugés primaires et totalement nombrilistes.

Pourquoi ces jeunes cons ont-ils voulu jouer les coqs de village en endossant le costume d'intégristes de l'anti-différence ? D'accord ma réaction a été somme toute disproportionnée mais après tout le couteau n'était pas le mien mais le sien, et je l'ai juste retourné contre lui. C'est d'ailleurs certainement pour cela qu'il n'a pas porté plainte. Mais ma famille, en dehors de ma grand-mère et de mon oncle, ne l'oubliera pas, tout comme le village des biens pensants.

Voilà des questions qui resteront logées dans une case de ma tête.

La vie commence à s'organiser, je me dois de vivre et oublier. Un matin Shawo arrive chez Kate :

- Pascal, viens voir.
- Oui Shawo, un souci ?
- Non j'ai un job à te proposer.
- Ok, c'est quoi ?
- Je pars en Afrique deux mois pour affaires et j'ai besoin que tu me remplaces. Tu n'auras que tous les quinze jours un voyage à faire avec le fourgon entre Montréal et Ottawa .
- Ok !

Je ne me posai pas de question mais ce que je transportais n'était pas de la drogue mais des armes. Avec le temps je compris que Shawo, Niglo, Gillou, Marco, Obélix, Hulk et les autres étaient des mercenaires. Ils vendaient leurs services dans les quatre coins du monde à tel ou tel État ou grosses entreprises qui avaient des intérêts à défendre à travers le monde. Tout s'explique, je me vois rassuré quelque part.

Les mois passent et me retrouve intégré à une bande de mecs des quatre coins de la planète qui vivent entre coup d'état, protection de coopérants et autres missions. Quand ils sont chez eux par contre, ils deviennent une bande de mecs totalement délires. A chacun de leur retour nous festoyons puis partons "Tailler la Route entre Potes" comme le dit Shawo qui m'a pris sous son aile comme un fils.

La première année passe tellement vite que quand Kate me parle des prochaines vacances d'été je suis un peu déboussolé. Kate, avec laquelle j'ai une aventure secrète depuis le dernier Noël, et moi nous jouons le jeu de la grande sœur et du petit frère à chacune des visites de Shawo. Mais son regard ne trompe pas, il sait mais attend qu'on le lui dise.

Kate, parlons un peu d'elle. Elle est tel un tableau des plus grands impressionnistes, d'une beauté et d'une âme pleine de couleurs qui ne peuvent s'expliquer. Elle tient une boutique de souvenirs que Shawo lui a offerte pour sa majorité. Elle vend des produits artisanaux pour le compte de la plupart des indiens canadiens, qui, contrairement aux indiens américains ont un ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC), ce qui leur donne un vrai statut social. Shawo est originaire d'une tribu canadienne. Mais avant tout Kate comprend mes longs silences alors que mon esprit repart en France dans mon village, alors que mes yeux se remplissent de larmes à la pensée de ma grand-mère et de mon oncle. Que dire de plus sur elle ? Qu'elle sera celle qui m'a permis de ne pas tomber dans la drogue dure, dans l'alcool pour oublier, celle qui m'a ouvert les yeux sur de nouvelles perspectives et permis de me réaliser en tant qu'homme.

L'été arrive, Kate me propose de prendre la route vers Winnipeg et ensuite Calgary, un long périple sur huit/neuf semaines avec la bande. Je suis fou de joie à l'idée de cette grande virée, la traversée des Provinces de l'Ontario, du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta.

Nous sommes plus de quinze motos. J'ai une XR 750 Harley Davidson avec ces cylindres en aluminium, une machine extraordinaire offerte par Niglo.

Nous sortons du Québec pour rentrer dans l'Ontario, province où réside un Canadien sur trois. Le paysage varié comprend le Bouclier canadien, vaste formation rocheuse qui divise les terres agricoles fertiles du sud des basses terres marécageuses du nord. Nous allons de camping en camping à travers ces paysages totalement extraordinaires qui nous amènent dans la Province du Manitoba à Winnipeg et son lac, au 14ème rang des plus grands lacs au monde. En comparaison sa superficie représente plus de la moitié de la superficie de la Suisse. Le lac Winnipeg est une excellente destination pour les amateurs de voile. Nous nous y posons pour 4 jours. Direction la province du Saskatchewan, une immense Prairie coincée entre le Manitoba et l'Alberta. Ce vaste champ de blé est le réservoir agricole du Canada. Au sud, on trouve une zone de steppes semi-arides et désertiques. Au Nord, on trouve le Parc national Prince-Albert composé de marécages, de lacs, d'étangs et de cours d'eau. Mais l'agriculture n'est pas sa seule richesse; des gisements de minerais et de pétrole y sont aussi exploités. Nous faisons une halte à Regina.

Notre périple reprend en direction de Calgary, une ville extraordinaire au pied des sommets des rocheuses. L'arrivée à Calgary met un terme à la première partie de nos vacances. Nous plantons nos tentes pour une semaine avant de prendre la route du retour vers "Montréal".

Ces vacances mais surtout les images des milliers de paysages traversés défileront en boucle dans ma tête durant mes nuits tout au long du périple.

Nous sommes à la mi-septembre quand nous arrivons à notre point de départ. Shawo and Co partent pour un voyage. Je reprends ma vie avec Kate à qui je donne depuis peu un coup de main à la boutique. C'est une vie idyllique, une vie sans tabou, sans préjugé, sans contrainte, une vie qui cependant ne m'empêche pas de faire vagabonder mon esprit auprès des miens.

Noël 79, cela fait un an et demi que je suis exilé dans ce pays qui n'est pas le mien, et alors qu'à l'aube de l'année 1980 je ne suis pas loin de mes seize ans, je me retourne sur mon passé et me dis que la vie a fait de moi trop rapidement un adulte.

Avec Kate nous sommes en plein préparatifs des fêtes de Noël. Nous attendons toute la bande pour une fois totalement réunie. Marco et Obélix seront aussi de la fête. A la nuit tombée du 24 Décembre 79 sous le sapin on procède à la distribution des cadeaux, une distribution tout à fait "Normale". Il faut dire que nous sommes quand même entre femmes, enfants et frangins près de cinquante personnes autour du sapin.

Vient en final le tour de Kate à distribuer ses cadeaux, et qui arrive devant moi en dernier avec une simple enveloppe. J'ouvre, ce sont deux billets d'avion pour la France : un pour elle et un pour moi pour la date que je désire, avec un formulaire d'émancipation du consulat français. Je reste sans voix, je ne sais si je dois l'embrasser ou pleurer de joie, je ne suis plus un clandestin et dans moins de 3 mois serai en légalité avec les lois de mon pays, et donc libre d'y retourner.

- Merde Pascal prends-la dans tes bras ! Sort Shawo.
- Heu oui.
- Alors le mariage c'est pour quand ?
Sort Hulk.
- Quoi ?
Sort Kate; Elle et moi même devenus rouge.
- Ben quoi on sait tous que vous êtes ensemble depuis un bail.
Rétorque Shawo avant d'ajouter et j'en suis Heureux.

Ils savaient depuis toujours que Kate et moi étions ensemble et amoureux malgré notre différence d'age. Nous nous prenons dans les bras et partons en pleurs, de ces larmes de bonheur que je n'ai pas vraiment eu la chance de souvent verser dans ma jeune vie. Il n'était pas question de mariage, Hulk déconnait comme à son habitude, mais il était question d'amour pouvant être vécu au grand jour. Obélix vient me voir et me dit :

- Pascal quand tu rentreras tu me préviens, mon baveux sera là pour te réceptionner à l'aéroport, avec les babylones on ne sait jamais.
- OK mais je ne suis pas encore décidé à revenir tu sais.
- Mais bon quand te prendra la marotte du pays fais-moi signe Gamin.
- Ok, mais quand tu rentres rends-moi un service, peux-tu te renseigner sur comment vont ma grand-mère et mon oncle ?
- Pas de souci Pascal.
Me répondit-il avec ce regard complice d'un père à son gamin, ce regard chargé d'émotion et de tendresse.

Ils avaient tous depuis le début ce côté protecteur avec moi. Je n'avais pas un papa mais une dizaine, chacun avec leur caractère de gros dur en façade mais des mecs plein de tendresse et d'amour au fond d'eux, des mercenaires.

Revenons d'ailleurs sur leur statut de mercenaires. Tout d'abord comment ont-ils pu m'avoir des papiers lors de ma fuite ainsi qu'une régularisation de mon statut en m'émancipant au jour de mes seize ans. COMMENT ? Simple avec le temps j'avais découvert qu'ils étaient mercenaires, familièrement appelés dans les dictionnaires "Des Barbouzes". La presse anti-gaulliste désigna ainsi, à la fin de la guerre d'Algérie, les membres des polices parallèles en lutte contre l'OAS et spécialisés dans les coups tordus et autres basses oeuvres commandés par l'Etat. La terminaison de ce terme sonne burlesquement aux oreilles, comme piquouse ou bagouse en argot. Depuis, ce substantif tragi-comique a élargi son sens et est devenu synonyme d'agent secret ou mercenaire selon le camp qui les emploie. Essayez donc de traduire barbouze dans une autre langue : entreprise ardue. Tout comme schmilblick ou demi-mondaine, barbouze est un fleuron de l'exception française. Ces mecs mettaient leur vie au service d'États ou de pays dont la France ce qui explique tout. Ils risquaient leur vie là où la diplomatie et les méthodes traditionnelles ne pouvaient agir librement ou officiellement.

La fête continue et dans les bras de Kate je ferme les yeux, plein d'étoiles qui illuminent mes rêves.

Le jour de l'an 1980 nous fîmes une fête de tous les dieux avec Kate et nos Potes, Notre Famille.

C'est le jour où chacun regagne son pays, sa maison, son foyer. L'hiver est là et la vie reprend son rythme tranquillement. Je me projette dans l'avenir avec Kate et rêvons de lendemains ensemble.

Les mois passent, me voici à l'aube de mes 16 ans et de mon émancipation:

A 16 ans passés, par décision du juge des tutelles rendue à la demande soit du père et de la mère, soit de l'un d'eux, après avoir entendu l'autre parent, sauf impossibilité de celui-ci de se manifester, soit du conseil de famille (réunion de parents ou d'amis proches qui s'occupent des intérêts du mineur, présidée par le juge des tutelles) le mineur devient majeur. La convocation du conseil de famille peut être demandée par le tuteur ou par un membre du conseil ou par le mineur.

Celle-ci ne sera effective que si je rentre en France, ce qui, à cette période n'était pas encore d'actualité, du moins en ce mois de mai.

Mais un beau matin Kate rentre dans la boutique :

- Pascal, j'ai reçu une lettre de Paris, c'est Papa.
- Vas-y ouvre la.
- C'est fait assieds-toi Pascal.
Me dit-elle avec un ton grave.
- Quoi, qu'est-ce qu'il se passe ?
- J'ai de mauvaises nouvelles pour toi, ta grand-mère a été hospitalisée dans un mouroir depuis 4 mois suite à une mauvaise chute. Papa va tout faire pour la sortir de là et la mettre ailleurs.

Je reste sans voix comme si ma poisse me rattrapait à chaque fois que la vie me souriait. Je reste prostré durant plus de deux heures, quand:

- Kate on part. Il faut que je la voie avant qu'elle ne parte.
- Ok Pascal, je téléphone à Gillou, il va s'occuper de tout, et je préviens Papa à Paris.

Gillou était le logisticien du groupe, celui qui préparait la logistique de tous les voyages légaux et illégaux du clan.

Je dois passer par la douane malgré tous les risques encourus mais mon retour doit être fait légalement. De plus Obélix a prévenu son baveux qui a toutes les pièces pour éviter que je ne me retrouve en cabane lors de mon arrivée sur Paris.

Pour sortir du territoire Québécois je risquais tout autant de me faire embarquer pour séjour illégal, mais chose étonnante tout se passe bien à l'enregistrement. Après un vol sans problème avec Kate dans l'avion qui me reconduit sur Paris, à mon arrivée sur l'aéroport de Roissy, au passage de la douane, je suis arrêté et déféré directement devant un juge pour mineurs à Bobigny. Le baveux récupère Kate et ils me rejoignent au tribunal de Bobigny.

Après 4 heures de démarches administratives je suis enfin libéré par mes geôliers. Ma situation sera légalisée dans les jours qui suivent. Nous partons avec le Baveux et Kate en direction de Paris au local des "Frangins d'Alésia". Shawo est là avec un regard grave. Je comprends de suite qu'il est trop tard, elle est partie. Je reste figé, même les larmes ne peuvent sortir tellement j'ai la haine de cette situation qui m'a retiré les derniers instants de ma grand-mère.

Je regarde Shawo et lui dit :

- Elle est partie quand ?
- Il y a deux jours. Elle sera mise en terre demain dans ton village. On monte avec toi et des Potes à nous.
- Ok!

Ce village et ses habitants qui m'ont privé des derniers instants de cette femme admirable que j'aimais. Nous nous préparons, je veux que mon retour se fasse par la grande porte tout en provoquant des questions sans réponses chez les biens pensants du village.

Nous arrivons aux portes du Village. Les cloches sonnent l'appel au mort. Nous sommes trente cinq motos, tous en cuir noir avec un bandana noir en signe de deuil sur notre rétroviseur gauche. Nous nous arrêtons devant l'église, presque tout le village est là. Je tombe mon casque et il y a un silence. Je vois au loin Nounours, je lui fais signe....

- Monsieur l'avion est prêt à décoller, les pistes ont été déneigées.

Je sursaute et regarde cette ravissante hôtesse et me dirige vers le comptoir d'embarquement.

Chapitre 02
Chapitre 04

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